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Entre Vendôme et Orléans, une cabine de curiosités musicales par Pascal Bertin & La FEDELIMA

Importée de Louisiane, la drôle de cabine téléphonique Western Electric 3.0 est au cœur d’un partenariat entre l’Astrolabe d’Orléans et l’association vendômoise Figures Libres. Première étape, la naissance d’un groupe qui finalise un album après plusieurs résidences, avant un usage de « l’instrument » à des fins éducatives sur le territoire.

Thoré-la-Rochette, paisible village du Vendômois, septembre 2021. Les effluves synthétiques qui parviennent du Musée de la Vigne et du Vin n’ont ni la saveur du raisin bientôt vendangé, ni le goût métallique des rails de la gare voisine désaffectée. Ce vendredi marque la fin de la semaine de résidence des trois musiciens réunis pour une création autour de Western Electric 3.0, une drôle de cabine téléphonique vintage transformée en instrument de traitement sonore du troisième type.

Accompagnées de leurs institutrices, des classes de l’école primaire du village viennent assister à la répétition et n’en croient ni leurs yeux, ni surtout, leurs oreilles. À l’origine de cette création, l’action conjointe de deux associations culturelles bien décidées à insuffler une énergie nouvelle à la production locale avant d’en faire profiter d’autres régions.

Des élèves assistent à une répétition et découvrent la music box

Le projet prend sa source dans le jumelage récent entre les villes quasi-homonymes d’Orléans et de la Nouvelle-Orléans. Directeur de l’Astrolabe, salle orléanaise gérée par son association Antirouille, également organisatrice depuis 2016 du festival Hop Pop Hop, Frédéric Robbe découvre une étonnante installation, à l’occasion d’un voyage en 2018 dans la ville de Louisiane. Ce Music Box Village consiste en une multitude de « maisons musicales », constructions conçues pour recréer chacune à leur manière une famille d’instruments. À son retour, la préfecture du Loiret est à la recherche de projets capables de s’inscrire dans la célébration des cinq cents ans de la Renaissance.

« J’ai eu l’idée de construire pour Orléans une machine en lien avec le territoire américain. Cela convenait d’autant mieux que celle-ci évoque une machine infernale à la Léonard de Vinci » explique Fred Robbe.

Le projet se resserre autour d’une cabine téléphonique commandée à l’équipe du Music Box Village qui met en fabrication la Western Electric 3.0, car troisième de l’histoire, mais première hors des États-Unis. Une fois réalisé, ce clone reproduit à l’identique est livré par bateau. Il est inauguré lors de l’édition 2019 de Hop Pop Hop.

La Music Box présentée dans le cadre de Hop Pop Hop en 2019 © photo Eric Malot

Mais que faire de cet outil atypique et unique le reste de l’année ? Le souhait de l’Astrolabe reste de garder la cabine au cœur de la création musicale. « On a toujours eu dans l’idée d’arriver à une exploitation de la machine dans le cadre d’un projet où seraient associés différents musiciens. » L’affaire prend forme fin 2019 avec la mise en place d’un groupe de travail en collaboration étroite avec Figures Libres, association vendômoise initiatrice du festival Rockomotives et de nombreuses actions (concerts, interventions pédagogiques dans l’école de Thoré-la-Rochette…). « Cette implication de Figures Libres permet d’étendre la création à un territoire plus large, avec des personnes dont on apprécie le travail, qui ont la capacité de garder la machine sur le long terme afin de pouvoir impliquer une équipe. » Une complémentarité naturelle qu’apprécie aussi Richard Gauvin, directeur de Figures Libres : « La Music Box représente une opportunité de travailler avec l’Astrolabe tant culturellement que financièrement. Après nombre de résidences organisées par notre association, c’est aussi une reconnaissance des pratiques artistiques d’un groupe d’acteurs militants appartenant à une scène locale de plus en plus dynamique. »

Début 2020, la Music Box 3.0 est installée dans le Musée de la Vigne et du Vin, bâtiment choisi pour l’espace dont il dispose pour accueillir des répétitions. Le lieu se situe aussi à l’écart des habitations de Thoré-La-Rochette, où résident Richard Gauvin ainsi que Lionel Laquerrière, producteur choisi comme directeur artistique du projet. Initiateur des groupes Nestorisbianca et Geysir, il est aussi musicien de tournée pour Yann Tiersen, Rubin Steiner ou Mesparrow, ainsi que membre du trio électro ESB (Elektronische Staubband) fondé avec Tiersen. Autour de la cabine, il se partage les claviers et boîtes à rythmes avec Johann Guillon, membre du groupe tourangeau Ez3kiel, artiste solo sous le nom Zero Gravity. Le trio prend forme avec l’arrivée au chant de James P. Honey, auteur et compositeur anglais à la tête du groupe folk londonien Buriers. Pour compléter l’équipe, Steven, ingénieur du son, apporte une aide précieuse par sa connaissance de la cabine, tant pour sa mise en place que son utilisation. Il est aussi formé aux problématiques de réparation, de transport et de levage de cette bête métallique qui pèse pas moins de 320 kg.

Les musiciens domptent la machine infernale

Les contacts se nouent lors d’une première semaine à l’automne 2020 durant laquelle les trois musiciens apprennent à se connaître, tant humainement que musicalement. « Bien qu’ils aient été réunis par la machine, ils l’ont oubliée dans un premier temps avant de la réintégrer à leur création » explique Richard. « Cette première semaine nous a aussi servi à trouver comment s’approprier la cabine ajoute Johann. Très vite, James a écrit des textes en lien avec elle. Ce sont des moments de vie, des histoires entre lesquelles la cabine crée le lien. »

Thoré-La-Rochette se montre propice au travail collectif, tant par son joli cadre bucolique que par la richesse de la vie culturelle de ce village de 900 âmes.

« Nous ne nous considérons pas un groupe, juste des gens qui ont envie d’avancer ensemble, entre lesquels tout s’est révélé simple. Le village y a contribué. Il est incroyable et la communauté fait aussi pour le projet car le lieu donne beaucoup » explique Johann.

Mais la crise de Covid vient vite compliquer l’agenda des réunions des musiciens. En mars 2021, Johann et Lionel se retrouvent seuls pour une deuxième semaine de résidence, le chanteur restant bloqué à Londres. « Nous avons travaillé les compositions pendant que James écrivait des textes de son côté » se souvient Lionel. En échangeant à distance, des morceaux commencent à prendre forme, longues plages electro ambient à qui James donne puissamment corps de sa voix habitée. C’est lors de leur troisième semaine passée ensemble en septembre 2021 que les trois définissent leur forme quasi finale, intégrant les apports sonores de la cabine. Malgré sa présence visuellement dominante et atypique au sein du trio musical, celle-ci ne se retrouve pas à la base des compositions, produites à travers le matériel couramment utilisé dans les musiques électroniques. « Il faut la voir comme une entremetteuse, un outil qui nous réunit, un peu à l’image de sa vocation première liée aux télécoms. C’est plus par sa nature de moyen de communication qu’elle influe et non comme un élément sur lequel taper » précise Johann. « Elle nous a aussi évité de nous éparpiller en réduisant nos horizons » ajoute Lionel.

Alors à quoi sert-elle concrètement ? Pour le comprendre, il faut pénétrer à l’intérieur. Un combiné à l’ancienne y est accroché, qui sonne, vibre, rugit en fonction de la voix qui y passe. La composition des chiffres sur son cadran émet des notes tandis que son micro sert à enregistrer sons et voix. Ces derniers sont diffusés à travers les trompes des haut-parleurs qui tournent au-dessus de la cabine suivant une vitesse réglable. Enfin, la cabine est synchronisée avec les instruments extérieurs. Elle sert ainsi à capter et déformer des voix, des sons, à initier des bruits ou des rythmes métalliques, qui seront intégrés à la musique. Autant la cabine s’est limitée à un rôle d’outil supplémentaire aux musiciens, autant a-t-elle influé sur l’écriture de James P. Honey, quitte à le troubler lors des présentations. « Au début, c’était la confusion car la machine occupait tout l’espace. La musique aurait sonné totalement différemment sans sa présence. C’était comme avoir un monstre dans la pièce, monstre qui est devenu un ami. Le résultat est inattendu, y compris pour moi. » Une fois apprivoisée, la machine a repris sa fonction première de transmission. « Mes textes s’apparentent à des collages de bribes de phrases nées comme dans une conversation téléphonique. J’y effectue des sauts dans le temps, passe d’une phrase à une autre. Mon mode d’écriture a changé car je l’ai adapté pour la cabine, en imaginant ce qu’elle va entendre. Un processus qui change de mes habitudes, mais où je reste moi-même. »

Même chamboulement au niveau de la scène où la cabine impose sa présence et fait déjà cogiter le chanteur. « J’ai pris conscience que le concert pourrait devenir, non pas théâtral, mais une performance grâce au téléphone, une véritable histoire où il tiendrait un rôle important. » Enfin, pour compléter sa palette vocale et locale, l’équipe a convié lors de sa troisième semaine un chanteur supplémentaire en la personne de Benjamin Nerot, viticulteur et artiste folk qui reprend du service sur deux de leurs compositions.

Reste maintenant à finaliser les morceaux et à les enregistrer lors d’une dernière semaine de collaboration. « Un des intérêts de s’associer à Figures Libres est que la structure possède son propre label indé » rappelle Fred Robbe. La sortie d’un album est prévue au printemps 2022, avec une édition spéciale conçue avec… un viticulteur du cru. Par ailleurs, l’aventure doit aussi trouver son prolongement sur scène, avec des concerts envisagés lors des éditions 2022 de Hop Pop Hop et des Rockomotives. Une scénographie forcément spéciale sera imaginée puisque la cabine sera au cœur du spectacle avec le groupe tandis que le public prendra place autour de l’ensemble. « Le but est de faire tourner le projet en se pliant aux contraintes de transport et d’utilisation de la machine : en plein air, dans des espaces atypiques comme des théâtres de verdure » prévoit Fred Robbe. Outre les élèves de primaire chez qui certaines vocations ont pu naître, la Music Box change les habitudes de sensibilisation à la musique. « Elle s’inscrit directement dans la catégorie des projets « différents » de l’Astrolabe. À terme, mon rêve serait de l’installer quelque part à Orléans, comme une représentation de la Nouvelle-Orléans. Elle pourrait diffuser du son dans la journée, servirait lors d’actions culturelles pour les enfants sur les percussions ou le son, avec l’aide d’un artiste. On peut imaginer un usage ludique avec des instruments additionnels. » L’expérience amène même à réfléchir sur la nature même d’un concert. « Face à la logique frontale dont on a l’habitude apparaît une logique de concert avec le public à 360°. Ça amène même à une réflexion sur la configuration des salles, le pourquoi de la séparation entre scène et public, le rapport aux autres disciplines comme la danse… » Bien qu’elle ait révélé ses secrets, cette cabine n’a pas fini de susciter la curiosité.

Credits:

(Crédits photos : C. Rochais, P. Fleygnac)