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À Nîmes, l'égalité des genres s'invite dans le secteur des musiques actuelles par Johanna Seban & La FEDELIMA

L'équipe de Paloma a fait de l'égalité des genres un axe fort de sa proposition, qui irrigue l'ensemble de son travail : projets artistiques, formation des équipes, communication, interventions auprès des scolaires... Rencontre sur place avec une équipe qui œuvre pour faire des musiques actuelles un secteur plus égalitaire.

Un ingénieur du son, un patron de label, un directeur artistique, un roadie... Les nombreuses professions qui constituent le secteur des musiques actuelles se déclinent souvent au masculin. Et même sur scène, malgré une évolution constatée ces dernières années, la majorité des musiciens sont des hommes. Pourtant, dans ce domaine comme partout ailleurs dans la société, la question de la place des femmes revêt aujourd'hui une importance nouvelle. La preuve à Nîmes, où la scène de musiques actuelles Paloma a ouvert ses portes il y a dix ans et où sa directrice adjointe Flavie Van Colen place au cœur de son travail les thématiques d'égalité de genre, de discrimination et de diversité.

Paloma, scène de musiques actuelles de Nîmes © Déborah-Rodriguez

Le déclic, pour elle et son équipe, remonte à 2015, quand Paloma obtient des statistiques stabilisées sur sa fréquentation. Les chiffres sont sans appel : seulement 11% des personnes qui fréquentent les studios de répétition de la Smac sont des femmes. Surprise par ce faible taux, Flavie Van Colen interroge les équipes d'autres salles de concert, qui à leur tour confirment la tendance. La lecture de Musiciennes, une enquête écrite par la sociologue Hyacinthe Ravet, achève de la persuader de la pertinence du sujet de la place des femmes dans la pratique musicale amateure.

« Hyacinthe ravet s'intéresse au champ de la musique classique mais je réalise que ce qu'elle dit peut aussi s'appliquer aux musiques actuelles. Par exemple sur les instruments : on s'aperçoit, à Paloma, que ces 11% de femmes sont majoritairement des chanteuses, pas des batteuses ou des guitaristes. Pourtant, dans les écoles associatives et les conservatoires, il y a 40% de filles ! Mais quand il s'agit de passer à l'étape suivante, jouer sa propre musique et se produire devant un public, elles ne sont plus là... ».

Également impliquée dans le programme de mentorat Wah (14 binômes féminins « mentore – mentorée » qui échangent sur une période d’environ 12 mois), Flavie Van Colen milite alors auprès de la FEDELIMA (Fédération des lieux de musiques actuelles, où elle est référente égalité) pour le lancement d'un travail sociologique sur le sujet. Qu'elle obtient : depuis septembre, la fédération finance la thèse d'une jeune doctorante sur la question du genre dans les pratiques en amateur dans les musiques actuelles.

Pour questionner plus généralement la place des femmes dans les musiques actuelles, Paloma entreprend dès l'automne 2015 une série d'actions : exposition, rencontres thématiques avec des scolaires, diffusion de clips, interventions d'artistes ou encore interviews de spectateurs dans une photo cabine inspirée de la Boîte à questions de Canal +... L'ensemble de ces projets donne lieu à un documentaire, Où sont les femmes ?. « On s’aperçoit rapidement que le sujet est plus vaste que celui des femmes en studio. Que s'y intéresser c'est aussi réfléchir à la question des femmes artistes, à l'image que les femmes véhiculent dans leurs clips, à l'accès qu'elles ont ou pas à certains métiers, à leur visibilité... Et nous réalisons qu'il nous faut travailler de façon transversale. »

Ces premiers jalons posés, la lutte pour l'égalité des genres va, plutôt que donner lieu à des événements thématiques isolés, progressivement irriguer l'ensemble du travail entrepris à Paloma. Inspirées des Girls rock camps développés dans les pays anglo-saxons, la scène de musiques actuelles met en place un collectif informel de femmes musiciennes, avec des réunions d’échange régulières, un groupe Facebook, des ateliers, puis bientôt des résidences de femmes artistes dans ses studios. Objectif : créer une dynamique d'échanges entre les participantes, renforcer des compétences techniques, permettre des initiations à la MAO, encourager la sororité. Le collectif parisien Salut les zikettes rejoindra bientôt l'aventure pour des ateliers de punk et d'empowerment.

Un travail de sensibilisation aux questions d'égalité et de discrimination est aussi opéré auprès du jeune public. En collaboration avec le collectif hip-hop Da Storm et l'association Les Culottées, du Genre Humain, la Smac soutient par exemple le projet « Le Rap c'est pas pour les meufs ». « L'idée, explique Thibault Rayne de Da Storm, c'est de sensibiliser les collégiens et les lycéens aux questions d'égalité hommes-femmes en utilisant le rap comme vecteur. » Au programme : histoire du rap, focus sur les artistes féminines et réflexion large sur le rap et ses stéréotypes.

« On essaye de déconstruire les avis négatifs sur le rap, de casser les clichés qui collent au genre. De montrer que ça n'est pas seulement une musique violente, misogyne et qui pervertit la jeunesse. Et qu'il y a toujours eu des femmes dans ce milieu très masculin. »

En plus d'inspirer des projets artistiques, la question de l'égalité de genre irrigue les méthodes de travail déployées chez Paloma. Côté communication, l'écriture inclusive est de mise et les visuels figurant des femmes sont valorisés. « Au début, regrette Flavie Van Colen, on adressait nos newsletters aux "musiciens du territoire" et on ne mettait que des hommes en photo ! On ne s'en rendait pas compte. Aujourd'hui on fait attention à la manière dont on écrit et on choisit de mettre en avant des photos d'artistes féminines dans nos éléments de communication. C'est une mécanique à laquelle il faut s'habituer. » Sur la question des métiers et du recrutement, la directrice adjointe assume la discrimination positive en essayant de privilégier, souvent sans succès faute de candidatures, des filles sur les postes techniques, par exemple.

Côté communication, l'écriture inclusive est de mise et les visuels figurant des femmes sont valorisés

En interne, les équipes aussi ont commencé à se former aux questions d'égalité de genre. Pendant le confinement, certains membres ont participé à des visioconférences thématiques organisées par l'association Ici C'est Cool ou des webinaires proposés par le CNM. Récemment, l'ensemble des salariés a été sensibilisé au sujet, notamment via l'intervention de structures spécialisées comme La Petite, une association culturelle et féministe de Toulouse. Objectif : que chaque employé obtienne les clés pour entamer son travail de déconstruction. « Il ne faut pas que ces formations ne tournent qu'autour du harcèlement et des violences sexuelles, mais qu'elles permettent aussi de travailler sur le sexisme ordinaire. Qu'on comprenne que le manspreading, le manterrupting ou le mansplaining ne sont pas juste des mots-valises, mais des comportements concrètement pénibles pour des collaboratrices. » Cette évolution des mentalités et des comportements semble aujourd'hui plutôt bien accueillie par les équipes. « Lorsqu'on a commencé à sensibiliser à ces questions de l'égalité des genres, on a d'abord constaté quelques réticences, raconte Emma Raymond, attachée aux relations avec les publics. Puis on a vu que beaucoup de personnes avaient envie de se remettre en question, de réfléchir à ces sujets, notamment après le confinement. Certaines se sont mises à se poser des questions qu'elles ne se posaient pas deux ans plus tôt. »

Un travail de sensibilisation aux questions d'égalité et de discrimination est aussi opéré auprès du jeune public

La prise de conscience n'est néanmoins pas générale et côté bar, le sexisme s'invite encore régulièrement au comptoir les soirs de concerts. « On constate parfois des réflexions un peu pénibles du public envers le personnel, confirme Stéphane, responsable des bars. Certains visiteurs plus âgés vont se sentir supérieurs aux serveuses étudiantes et se permettre de les draguer lourdement. Ça peut alors m'arriver d'intervenir. Ces comportements peuvent aussi se produire contre des hommes : j'ai déjà vu un homme bénévole se faire embêter par une femme bénévole par exemple... j'ai moi-même été embêté par une femme qui avait trop bu. »

Afin que ces épisodes ne se produisent plus, tous les membres de Paloma en lien avec l'accueil du public – les salariés, les bénévoles mais aussi les agents de sécurité employés via un prestataire – vont bénéficier en 2022 d'une journée de formation spécifique sur la prévention des violences sexuelles et sexistes en concert, probablement dispensée par l'association Consentis. Une adresse mail a été créée pour recueillir les témoignages de mauvaise expérience vécue dans l'enceinte de la Smac. « Harcèlement, discrimination, blague lourde : tous les problèmes pourront être remontés, explique Justine Nouasra, chargée de communication et référente harcèlement sexuel et agissements sexistes au sein du CSE (Comité Social et Économique). Le public, les musiciens, les bénévoles ou les salariés pourront l'utiliser. » Cette initiative, comme les autres, participe d'un objectif général : faire de Paloma une destination accueillante pour tous. « L'idée, conclut Flavie Van Colen, c'est de faire en sorte que Paloma soit un lieu « safe » pour tout le monde, quels que soient le genre, l'orientation sexuelle, la façon dont on s'habille, l'envie de consommer au bar... Toutes ces initiatives doivent devenir normales pour n'importe quelle Smac ou festival. »

Credits:

Jean Claude Azria / Déborah Rodriguez