La convivialité au cœur du moteur des 4Ecluses ! par Pascal Bertin & La FEDELIMA

Unique salle de concert dédiée aux musiques actuelles au cœur d'un territoire à la population vieillissante, les 4Ecluses se sont donné pour objectifs de favoriser la participation des personnes et d’étendre leur visibilité. La salle dunkerquoise multiplie les projets dans et au-delà de la musique, noue des partenariats avec un maximum d’acteur·rices de la vie locale, imagine des événements hors de ses murs. Et a dédié un poste qui matérialise cette volonté.

Des poules bien nourries qui se baladent en toute quiétude, des cormorans nichés dans les arbres entre deux parties de pêche, des mouettes de retour de la mer du Nord à un kilomètre… Dans ce havre de paix au cœur de Dunkerque, rien n’indique la présence d’une salle de musiques actuelles sur l’îlot d’un canal. Pourtant, c’est là que les 4Écluses sont installées dans une ancienne poudrière. Isolée au cœur d’une agglomération elle-même portuaire et terminus de la ligne ferroviaire, la salle – enfin, son équipe – se démène pour mieux se faire connaitre et attirer de nouveaux publics. Une volonté ambitieuse et énergivore qu’elle a concrétisée en gravant ses efforts dans l’intitulé du poste d’Angélique Lyleire, l’une de ses chargées de communication, désormais « déléguée à l'image et à la convivialité ».

Comme pour de nombreux pans de l’industrie musicale, la crise du Covid a laissé des traces lors de la reprise du live. Paradoxalement, cet arrêt a occasionné un break pour sortir la tête du guidon. « Des réflexions de longue date se sont concrétisées durant le Covid, en particulier sur la communication globale du projet explique Aurélien Delbecq, directeur des 4Écluses depuis septembre 2017. Bien que l’émergence soit au cœur de notre mission, nous sommes sur un territoire dont la population vieillit, n’est pas spécialiste de musiques, et manque de fans pointus sur des esthétiques de niche par rapport aux grandes métropoles. Les noms des groupes à l’affiche ne parlent pas. » La difficulté économique à faire venir des artistes connus du grand public oblige l’équipe à pousser vers d’autres axes d’attractivité. « Nous avons repensé l’espace comme un lieu de vie où passer un bon moment. »

Présentation de saison sur l'îlot, à proximité de la salle de concert © photo : Angélique Lyleire

L’équipe concrétise sa volonté par un élargissement du titre d’Angélique Lyleire, jusque-là assistante de communication. « Un poste dédié à la convivialité est apparu important, d’une part vis-à-vis du public, mais aussi de toutes les parties prenantes. Ça nous a amenés à une réflexion sur l’accueil des artistes, des prestataires, et a renforcé un état d’esprit déjà présent. » En plus d’être la photographe de la salle, Angélique est déjà le chainon avec différents publics, à travers l’accueil du public, la gestion de la billetterie et d’une soixantaine de bénévoles. De plus, son titre a valeur en interne de rappel que la convivialité doit être l’affaire de toutes et tous. « C’est un poste central et transversal qui intervient dans la réflexion de chacun souligne-t-elle. Une sorte de démultiplicateur pour que tous se saisissent du sujet de la convivialité, que celui-ci devienne sous-jacent à toutes nos activités. »

Un poste dédié à la convivialité est apparu important, d’une part vis-à-vis du public, mais aussi de toutes les parties prenantes. Ça nous a amenés à une réflexion sur l’accueil des artistes, des prestataires, et a renforcé un état d’esprit déjà présent

Bilan 2023 pour les 4Écluses : 364 événements organisés, parmi lesquels « seulement » 79 concerts. Autant dire que l’équipe de 12 permanent·es s’est démenée afin d’assurer ce volume d’activité. Si certaines actions, telles que les programmes d’accompagnement d’artistes, sont souvent au cœur de la mission des SMAC et projets assimilés, l’équipe a souhaité ouvrir ses murs pour encourager le plus grand nombre à la pratique musicale. Première initiative, la Jam, organisée une fois par mois. « Beaucoup de musicien·nes avaient envie de jouer mais avaient perdu leur groupe à cause du Covid. On a eu l’idée d’une jam mais pas sur scène. On ouvre les studios avec le matériel, et les gens se mélangent, font ce qu’ils veulent, sans public pour écouter ou juger » raconte Angélique. Succès immédiat avec des rencontres à la clef et la naissance de projets. « Un groupe de quinquas cherchait un batteur, a rencontré un gars de 30 balais et ça a collé. Des gens ont découvert les 4Écluses par ce biais et y reviennent depuis pour voir des concerts » se réjouit Aurélien.

Une soirée chaque mois, les portes des trois studios de répétition sont ouverts à toustes pour un bœuf musical ! © photos : Angélique Lyleire

La salle pense aussi aux musicien·nes du territoire en manque de lieux pour s’exprimer. Une fois par trimestre, l’événement Hors Série leur permet de se produire aux 4Écluses après tirage au sort de leur candidature. « Ça peut être des groupes de reprises, de variétés… L’entrée est gratuite pour le public, on demande juste aux gagnants de rameuter leurs copains. Cela nous a permis de découvrir des groupes qu’on a reprogrammés par la suite. » C’est le cas de Léo Podechard, alias Livestock Pixel, qui s’est produit lors d’un Hors Série début 2020, avant d’être rappelé fin 2022 pour la première partie de Romane Santarelli et Dombrance. « Ces concerts ont sonné comme des petites victoires qui m’ont donné confiance pour passer d’un hobby à un projet plus ambitieux » explique Léo.

Côté rap, les 4Écluses ont lancé les soirées Open Mic afin de donner leur chance aux jeunes pousses de la scène locale. Ce format de soirée gratuite, animée par un MC et un DJ, reste parfois compliqué à appréhender pour des salles traditionnellement rock et pop. Les 4Écluses les organisent en partenariat avec une structure située dans la commune voisine de Grande-Synthe et a lancé un dispositif d’accompagnement pour des rappeur·ses. « À nous de trouver les formats adaptés aux nouvelles générations afin de les encourager dans leur projet et leur transmettre notre savoir-faire des concerts. À nous de nous adapter à eux et non le contraire » insiste Aurélien. Grâce à des conventions signées avec l’ESA, l’Ecole Supérieure d’Art de Dunkerque, et le Conservatoire de Musique et d’Art dramatique, la salle met par ailleurs gratuitement ses studios de répétition à disposition des étudiant·es.

Et si ça ne suffisait pas, l’équipe met à profit un espace entre les bureaux et la salle de concert, le Bocal, afin de décupler ses propositions. Autour d’un bar, ce lieu facilite les rencontres plus informelles autour de canapés, de chaises et d’un verre. C’est là que sont organisées des rencontres entre des musicien·nes et le public, des ateliers pour parents et enfants, des DJ sets avant des concerts… Les Jams y démarrent souvent là, sans la crainte que peuvent parfois représenter des studios de répétition pour des débutant·es. Les fans de toutes les musiques peuvent aussi venir présenter leurs coups de cœur à l’occasion du rendez-vous mensuel Melomaniak, une sorte de club d’écoute participative. Durant deux à trois heures, chacun peut y faire écouter une musique de son choix afin d’en discuter avec le public présent, « une quinzaine de personnes à chaque session, dont une moitié d’habitués » se réjouit Aurélien. Depuis 2023, le Bocal bénéficie de plages d’ouvertures allongées et reçoit des visiteur·ses en dehors de tout agenda musical. « C’est aussi là qu’est organisé un atelier de réparation de bicyclette par un indépendant et un point de retrait hebdomadaire de commandes de fruits et légumes en circuit court. Des familles du quartier passent parfois juste voir le poulailler et boire un verre. »

Le Bocal bénéficie de plages d’ouvertures allongées et reçoit des visiteurs en dehors de tout agenda musical © photo : Angélique Lyleire
On ne veut pas remercier les bénévoles juste en leur offrant des bières. Le but est qu’ils se saisissent aussi de la salle. Et ça marche, certains y sont même plus présents que moi

Cette tradition d’hospitalité, Angélique la traduit dans sa relation à l’équipe de 73 bénévoles. Aux volontaires en charge du bar ou de l’accueil, l’équipe propose des temps d’ateliers et de formations sur des sujets variés, des techniques de sonorisation ou de lumière à des cours de cuisine végétarienne, en passant par l’accueil de personnes en situation de handicap. « Ce sont des moments de rencontre et d’échanges hors du temps de travail. Nous essayons de transmettre des connaissances utiles dans la vie » souligne Angélique. L’équipe propose de leur trouver des invitations à des concerts dans d’autres salles ainsi que des solutions de covoiturage. « Régulièrement, nous présentons nos métiers, en expliquant tout le travail derrière un concert, les raisons de nos choix. » Grâce à ces échanges, Benjamin Mialot, le programmateur des 4Écluses, a initié une étude destinée à évaluer le bilan carbone de sa programmation que lui a proposée un bénévole. « On ne veut pas remercier les bénévoles juste en leur offrant des bières. Le but est qu’ils se saisissent aussi de la salle. Et ça marche, certains y sont même plus présents que moi » s’amuse Aurélien.

Il faut dire que l’équipe des 4Écluses s’active aux quatre coins de son territoire. Premier axe qu’elle connaît le mieux : les concerts. Si ce n’est qu’elle initie des événements dans des sites atypiques, non dédiés à la musique, parfois chez l’habitant. Chaque début d’année, son festival We Will Folk You se lance des défis en déplaçant une partie de ses soirées dans des lieux patrimoniaux de l’agglomération : un lieu de création dédié au théâtre d’objets, le fort militaire ou une église en 2024. « Cela permet de toucher un public de curieux ou de fidèles qui ne ferait pas l’effort de venir à la salle » justifie Aurélien.

L’équipe travaille aussi avec le Château Coquelle, un site voué à l’art du récit, pour organiser des concerts durant son festival Récit sans frontières. Avec l’association Droit au vélo, elle a monté des balades à bicyclette entrecoupées de deux concerts sur le parcours. Au printemps, la troisième édition d’une tournée rurale fera jouer un artiste accompagné dans des lieux de vie (bars, EHPAD...) de la communauté de communes des Hauts de Flandres, un territoire sans offre de concerts. « À plus long terme, nous réfléchissons à des projets de tournée « lente » avec d’autres salles. L’idée serait que l’artiste consacre plusieurs jours à des actions locales, des rencontres avec le public. Il faut trouver les artistes et les salles capables de jouer le jeu. » Les partenariats des 4Écluses débordent à la Belgique toute proche dans la continuité de projets européens menés depuis une quinzaine d’années. Avec les salles 4AD à Dixmude, Wilde Westen à Courtrai, ainsi que le Grand Mix à Tourcoing, un abonnement commun est mis en place, accompagné d’une réflexion sur la circulation du public entre les quatre lieux. « Les Belges sont très forts sur la convivialité. Nous apprenons à leurs côtés » souligne Aurélien.

Au total, c’est avec une cinquantaine de partenaires que la salle complète son agenda. « On travaille avec des structures culturelles mais aussi dans le domaine du social, du médico-social, de l’éducatif… » Côté public scolaire, des interventions présentent les métiers de la musique. En retour, collégien·es et lycéen·nes sont invité·es à un concert dans de vraies conditions, point de départ à des échanges en classe sur ce qui est parfois une première dans leur vie. Une autre action remarquable se tient à la Maison d’Arrêt de Dunkerque où une semaine de formation technique à la musique se conclut par un concert, avec des détenus à la technique.

La salle dunkerquoise multiplie les projets dans et au-delà de la musique © photos : Angélique Lyleire

Les initiatives menées avec des acteurs de la vie culturelle locale prennent toutes les formes possibles. Comme quand Benjamin Mialot livre une playlist musicale au Frac Grand Large pour chaque exposition, et participe à des visites pour expliquer ses choix. « Nous nous inscrivons le plus possible dans les temps forts de l’agglomération. Nous avons par exemple monté une nuit gabber dans le cadre du nouveau festival de danse Allure Folle. Leur vision est celle de la danse que les gens regardent alors que nous, nous sommes un lieu où les gens dansent ! » Chaque structure trouve son compte dans cette forme de réseau au sein de l’agglomération « Nous avons calé un cycle régulier de réunions afin de mutualiser les coûts avec nos partenaires » explique Angélique. Un collectif a par ailleurs été initié pour réfléchir aux questions liées à la transition écologique et sociale.

En ce soir de février 2024, c’est à l’ESA voisine que Thérèse, chanteuse, musicienne et styliste parisienne choisie par les 4Écluses comme artiste associée de l’année, présente son parcours à des élèves. « Le dispositif d’artiste associé·e permet à un nom d’envergure nationale de devenir notre compagnon de route pendant un à deux ans, d’intervenir sur scène mais aussi en accompagnement, en action culturelle, de donner son avis sur la convivialité de la salle, de ses menus… S’il prend l’envie à Thérèse de faire danser des drag-queens dans un EHPAD ou de faire chanter des personnes âgées sur de l’autotune, on le fera » s’enthousiasme Aurélien.

Est-ce dû à sa taille, son histoire, son isolement ou à l’état d’esprit de la région ? La ville permet à ses acteur·rices de la culture de collaborer facilement à des projets. « Chacun a l’habitude de travailler ensemble, sans esprit concurrentiel, sans trop d’égo, juste en décrochant son téléphone confirme Anne Rivollet, directrice du site de Dunkerque et de la communication de l’ESA. Avec les 4Écluses, nous sommes voisins donc les choses se font naturellement. » Preuve en est, un simple échange ce soir-là suffit pour que l’ESA décide d’accueillir en septembre la braderie d’instruments de musique imaginée par les 4Écluses, dans la continuité de la donnerie de matériel technique régulièrement réalisé.

Et d’autres idées de fuser, telles l’ajout d’une troisième scène à la Fête de l'îlot, le festival que la salle organise chaque été pour profiter des beaux jours et de son grand jardin. Quant à Angélique, elle nourrit le projet de transformer le toit des loges en terrasse, d’y installer un toboggan, voire d’installer une passerelle sur le canal pour un autre espace où donner des concerts. Une réflexion qui semble perpétuellement en marche et rejoint la volonté d’Aurélien. « Nous ne voulons surtout pas être catégorisés salle de concert. Pour beaucoup, nous sommes un lieu alors que pour moi, nous sommes un projet. Pas question d’être enfermés ici : la musique doit être partout et non dans un lieu dédié. » Un credo et une débauche d’énergie qui portent leurs fruits. « En 2023, non seulement nous avons gagné du public mais celui-ci a changé, très mixte en termes de générations et de milieux sociaux. Le territoire se renouvelle, regagne pour la première fois des habitants. La promesse de 20.000 emplois créés dans les dix prochaines années entrainera un rajeunissement de la population. Il est important de nous préparer à ce rendez-vous. »

(Crédits photos : Angélique Lyleire)