Actus

Date : 05/12/2025

Communiqué - Budget du silence - Ne laissons pas la France perdre ses voix

Il y a des silences qui en disent long.

Derrière les coupes budgétaires, les réorganisations administratives et les arbitrages comptables, c’est toute une part de la voix de la France que l’on étouffe.

La voix de celles et ceux qui racontent nos territoires, nos cultures, nos imaginaires.

La voix de celles et ceux qui donnent la parole là où elle ne passe plus.

La voix de celles et ceux qui font encore entendre le réel, le vivant, le commun.

Depuis plusieurs années, les actrices et acteurs de l’intérêt général, les indépendant∙es de la culture, des médias, de l’économie sociale et solidaire se battent pour maintenir une liberté d’expression, de création et de transmission en dehors des logiques de marché.

C’est un écosystème fragile et essentiel, fait d’associations, de collectifs, de radios, de revues, de compagnies, de lieux, de structures artistiques, culturelles, scientifiques ou sociales.

Partout, ces initiatives tissent du lien, fabriquent du sens, nourrissent le débat public et font vivre la démocratie au quotidien.

Or, c’est précisément cet écosystème qui est aujourd’hui menacé.

Les réductions massives des crédits culturels et associatifs ne sont pas une simple variable d’ajustement : elles traduisent un changement de cap politique.

Celui d’un État qui renonce à sa promesse d’une culture par et pour toutes et tous, d’une information libre et indépendante, d’une société ouverte, curieuse et éclairée.

On ne parle pas ici d’un “plaisir culturel” ou d’un “aménagement de niche”.

On parle d’un bien commun démocratique : le droit d’informer, de comprendre, de débattre, de rencontrer et de créer.

Quand l’expression libre s’éteint, c’est la démocratie qui s’affaiblit.

Les médias associatifs, les structures d’éducation populaire, les maisons d’édition indépendantes, les équipes artistiques, les actrices et acteurs de terrain, les bénévoles, … toutes et tous sont touché∙es par le même mal : l’asphyxie.

Les radios locales, en particulier, en sont une illustration exemplaire : elles incarnent ce lien direct entre la parole citoyenne et la vie démocratique. Présentes là où d’autres ne vont plus, elles sont parmi les premières flammes qu’éteint le budget du silence.

Les radios associatives sont parmi les plus impactées par le projet de Loi de Finances pour 2026 qui prévoit une coupe de 44,5 % dans l’enveloppe du Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique locale dédiée aux radios associatives (-15,7 millions d’euros !), comme cela avait été tenté lors du budget 2025 [1]

Et d’autres attaques envisagées en direction du financement des associations et initiatives citoyennes culturelles sont toutes aussi inquiétantes, à l’instar des importantes baisses prévues sur le financement des programmes Création (131) et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture (361), sur le FONPEPS, dispositif d’aide indispensable au soutien de l’emploi associatif ou encore sur les crédits alloués au Centre National de la Musique. C’est plus de 200 millions d’euros d’austérité sur la culture !

Plus globalement, le tissu associatif et citoyen qui maille les territoires est terriblement mis à mal par le budget 2026. Les Tiers-Lieux perdent 95% de leur financement, l’ESS voit son budget baisser de 54 %, les services civiques subissent une coupe de 20%, l’insertion dans l’emploi par les contrats aidés perd 118 millions d’euros soit 76 % de ses aides, l’aide publique au développement perd 700 millions d’euros [2] et la liste est encore longue. Au total, près de 90 000 emplois associatifs sont directement menacés [3]. Tous les territoires sont touchés.

Cette politique du silence #BudgetDuSilence ne frappe pas des professions, mais une société tout entière.

Elle oppose la logique comptable à celle du bien commun.

Elle réduit à des lignes budgétaires ce qui fonde une nation : la possibilité de penser, de débattre, d’imaginer et de faire ensemble.

Nous ne demandons pas des privilèges.

Nous demandons que la parole, la culture et l’esprit critique soient reconnus comme des investissements publics vitaux. Nous demandons que l’État assume pleinement son rôle de garant de la diversité culturelle, des droits fondamentaux, de l’accès à l’information, de la liberté de création et de la vie démocratique.

Face au budget du silence, nous appelons à un sursaut collectif.

Celui de toutes celles et ceux qui croient que la culture, l’information, la création et l’expression citoyenne ne sont pas des dépenses superflues, mais les piliers d’un pays vivant et libre.

Ensemble, en lien avec les dynamiques culturelles et associatives qui se mobilisent pour que vive la participation citoyenne.

Nous invitons toutes les structures, associations, artistes, médias, collectifs, universitaires, citoyennes, citoyens et partenaires publics à rejoindre cet appel commun.

Parce que ce combat dépasse nos métiers, nos champs d’action et nos sensibilités.

Parce qu’il concerne notre capacité à faire société.

Une tribune proposée par l’Association Les Locales (CNRA et SNRL), Union des organisations représentatives des radios associatives, avec le soutien de la Férarock et de Radio Campus France dans le cadre de la Mobilisation et Coopération Art et Culture.

  • CNRA – Confédération Nationale des Radios Associatives
  • SNRL – Syndicat National des Radios Libres
  • FERAROCK – Fédération des Radios Associatives de Musiques Actuelles
  • Radio Campus France - Fédération nationale de radios associatives étudiantes

[1Les chiffres du PLF 2026 sont issus des projets annuels de performances (PAP) des programmes 180 “Presse et médias”, 131 “Création”, 361 “Transmission des savoirs et démocratisation de la culture”, 112 “Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire”, 305 “Stratégies économiques”, 163 “Jeunesse et vie associative”, 102 “Accès et retour à l’emploi”.


Previously on FEDELIMA #22 | 6PAR4 : flouter les frontières entre ville et campagne

Vous le savez sans doute, la FEDELIMA publie depuis plusieurs années une série d’articles afin de valoriser les pratiques atypiques, événements hors du commun ou autres projets singuliers menés au sein de la fédération !

6PAR4 : flouter les frontières entre ville et campagne

Comment un projet culturel situé en milieu urbain peut-il exercer une solidarité à l’égard d’acteurs ruraux ? Et comment lutter contre l’isolement des villages, en musique ? Partout en France, autour des métropoles et des SMAC, ces questions sont posées. A Laval, en Mayenne, les actions hors les murs de la salle de concert 6PAR4 n’échappent pas à cette démarche. Mais loin des débats « ville vs campagne », son territoire majoritairement rural, très peu dense et foisonnant culturellement révèle une autre manière d’appréhender la coopération.


Date : 18/09/2025

Rencontres nationales "Fonctions de direction et de programmation"

Les fonctions de direction et de programmation sont au cœur de l’identité et du devenir des lieux de musiques actuelles. Décider, orienter, créer, arbitrer, imaginer, inventer… autant de verbes devenus le quotidien − souvent passionnant, parfois éprouvant − de ces métiers.

Pour la première fois, la FEDELIMA propose de rassembler ces deux fonctions lors de rencontres nationales accueillies à Vendôme les 29 et 30 octobre, en partenariat avec Figures Libres et dans le cadre du festival Les Rockomotives. Ces deux jours ambitionnent de créer un espace privilégié d’échanges, de respiration et de découverte.

Dans un contexte où les mutations du travail bousculent les organisations, où l’isolement guette parfois celles et ceux qui assument des responsabilités, où la complexité des processus de décision s’accroît et où de nouvelles esthétiques émergent plus vite qu’un BPM d’hyperpop, faire discuter celles et ceux qui pensent les orientations globales des structures et dessinent les horizons artistiques devient plus que jamais essentiel.

Ces rencontres invitent à mettre en commun les expériences, à confronter les réalités, à interroger ce qui fonde un projet artistique et culturel aujourd’hui. Quelles responsabilités cela engage-t-il ? Quels équilibres reste-t-il à trouver entre liberté artistique, modèle économique et transformations du secteur ? Comment résister à la tentation de programmer comme on coche des cases pour continuer à surprendre, émouvoir et faire vibrer ? Il s’agira aussi de se donner le temps d’élargir les perspectives, de sortir du quotidien pour regarder collectivement ce qui se joue derrière les choix artistiques et stratégiques.

Ces rencontres nationales se veulent à la fois un moment de réflexion, mais aussi un temps convivial, nourri par l’énergie du festival Les Rockomotives. Elles sont le fruit d’un travail collectif mené avec un comité de pilotage d’adhérent·es (un énorme merci), qui a conçu ce programme avec une ambition claire : proposer aux directions et aux programmateur·rices un espace commun pour débattre, se ressourcer et, ensemble, imaginer - qui sait - de nouveaux horizons.


Date : 24/07/2025

Communiqué de la MCAC : investir dans ce qui nous tient ensemble : pour un grand plan de revitalisation culturelle, sociale et solidaire !

Communiqué du 24 juillet 2025, Mobilisation et Coopération Arts et Culture – MCAC 2025

Née dans le contexte de la crise COVID et relancée en avril 2025 à l’initiative de l’UFISC, la Mobilisation et Coopération Art et Culture (MCAC) s’est imposée comme un espace de mobilisation, de coopération, de veille et de plaidoyer, qui rassemble plus de cinquante fédérations (dont la FEDELIMA), réseaux et organisations professionnelles du secteur artistique et culturel (→ lire la déclaration d’intention des organisations participantes).

Face aux politiques d’austérité et aux attaques réactionnaires qui fragilisent aujourd’hui l’ensemble du champ associatif et de l’intérêt général, la MCAC appelle à une réponse collective et alerte sur un véritable plan social à bas bruit, qui menace l’ensemble de l’écosystème culturel et artistique en même temps que les droits culturels et les libertés fondamentales.

Investir dans ce qui nous tient ensemble : pour un grand plan de revitalisation culturelle, sociale et solidaire !

En pleine période de programmation estivale, tandis que les projecteurs s’allument sur certains lieux emblématiques, le tissu artistique et culturel de proximité, celui qui fait aussi vivre la création au quotidien, se délite dans le silence.

L’annonce de 6 millions d’euros supplémentaires pour les réseaux culturels labellisés par l’État est, certes, bienvenue. Mais cela ne bénéficiera pas à la diversité de l’écosystème culturel associatif et de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), ni aux équipes artistiques, ni aux artistes-auteur·ices, ni aux lieux intermédiaires, ni aux collectifs de production, etc. Cette annonce s’inscrit dans un projet de budget 2026 qui baisse de 200 millions d’euros le budget du ministère de la culture, coupe les moyens d’autres ministères et demande un effort inouï aux collectivités territoriales qui risquent de facto de diminuer leurs budgets culturels.

Si vous poursuivez dans cette logique, vous tuez les associations et les autres modèles de l’ESS ; vous déclarez inutiles les missions d’intérêt général qu’elles assument ; vous condamnez ce qui fait la nature même de la France : la vitalité artistique, culturelle et citoyenne qui irrigue nos territoires, façonne les imaginaires, favorise les modes d’habiter, crée de la richesse économique, sociale et démocratique partout.

Il est temps d’assumer un grand plan de revitalisation culturelle, sociale et solidaire, au service de l’intérêt général.

L’argent existe : les 211 milliards d’aides publiques annuelles aux grandes entreprises versés sans contrôle, sans évaluation, souvent pour servir les actionnaires plutôt que l’intérêt général.

Ne cherchez pas des économies sur le dos des droits fondamentaux des Français·es. Cherchez-les plutôt dans les profits démesurés des plus riches, dans les marges indécentes des grandes entreprises, dans la fraude et dans les gâchis que dénonce le Sénat dans son rapport d’enquête. On a retrouvé les 40 milliards : ils dorment dans des dividendes, des rachats d’actions et des niches mal contrôlées (→ Rapport d’enquête sur le financement des grandes entreprises - Commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants du 1er juillet 2025).

Nous demandons :

  • Un grand plan national de revitalisation culturelle, sociale et solidaire, coconstruit et financé à la hauteur des besoins.

  • Une réorientation massive des aides publiques, conditionnées à des engagements concrets en faveur des droits fondamentaux, de la transition écologique, de l’emploi, des territoires, de la coopération, de la justice sociale et d’une réelle égalité.

  • La reconnaissance pleine et entière des associations et autres structures artistiques et culturelles à buts autres que lucratifs comme piliers de la République et de l’intérêt général.

Le gouvernement a les moyens. Nous lui demandons d’avoir le courage politique et la volonté de mettre l’argent là où il sert vraiment à créer de la richesse collective, à investir dans ce qui nous tient ensemble !


Date : 23/07/2025

La FEDELIMA co-signataire du plaidoyer de Zone Franche : Pour une meilleure découverte des musiques du monde francophone

PLAIDOYER POUR UNE MEILLEURE DÉCOUVERTE DES MUSIQUES DU MONDE FRANCOPHONE, DE LEURS CULTURES ET DE LEURS LANGUES DANS L’ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE

Rappel préliminaire

Il y a trois ans, Les Productions Nuits d’Afrique ont lancé le Laboratoire collectif La Percée, qui réunit artistes, professionnels de la culture et chercheurs pour analyser et mettre en lumière les défis de découvrabilité en ligne des Musiques du Monde.

En 2023, Zone Franche, le réseau des Musiques du Monde, est devenu partenaire et coréalisateur de La Percée pour son déploiement international, en mettant en œuvre la force et les synergies d’un réseau de professionnels présent sur plusieurs continents.

C’est ainsi que La Percée a pu aller à la rencontre des professionnels dans divers moments dont des salons internationaux en France (Babel Music XP, MaMA), en Afrique (MASA en Côte d’Ivoire, Visa For Music au Maroc), et lors d’un événement majeur : le Sommet de la Francophonie, à Paris, au mois d’octobre 2024.

Alors que la France Music Week a réuni ce mois de juin, à Paris, les géants de l’industrie musicale, dont ceux du numérique, nous publions ce plaidoyer fruit de ces années de concertation et de réflexion. Il interpelle l’ensemble des acteurs concernés pour préserver, promouvoir et faire rayonner, dans l’environnement numérique, la riche diversité des expressions musicales émanant des pays de l’espace francophone.

Nous appelons les professionnels de la musique de toute catégorie (salles et festivals, producteurs, salons, réseaux et fédérations, syndicats et collectifs, OGC, etc.) sensibles à ces enjeux à signer cet appel (lien ci-dessous) afin de poursuivre et élargir les échanges.

Le plaidoyer

Les services de diffusion de musique en continu (Spotify, Deezer, Apple Music, etc.) séduisent déjà plus d’un demi-milliard d’abonnés payants. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique, 59 % du temps que nous consacrons chaque semaine à écouter de la musique est passé sur ces services. Si l’on peut se réjouir de l’accès qu’elles donnent à une pléthore de contenus, soyons aussi conscients que les plateformes nous enferment dans une bulle d’écoute d’œuvres musicales qui se ressemblent et qui ne correspondent pas toujours à nos préférences.

Des études conjointes menées par le laboratoire collectif La Percée, des Productions Nuits d’Afrique, et la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement de l’Université de Québec à Montréal montrent que les systèmes de recommandations algorithmiques promeuvent surtout des courants musicaux dominants et internationaux déjà populaires, au détriment de productions nationales, régionales et locales moins connues, notamment dans l’espace francophone.

Pour l’heure, les plateformes de streaming ont tendance à ne pas valoriser ni véritablement favoriser la circulation et la découverte de la riche diversité du patrimoine musical francophone disponible en ligne, dont les œuvres et les créations musicales des artistes francophones d’Afrique, des Caraïbes, des Antilles et de l’Amérique latine.

Ce qui est préoccupant, c’est de constater par exemple que sur Spotify, on ne compte qu’un seul artiste francophone parmi les 20 artistes africains les plus écoutés, ce qui illustre la domination des productions anglophones et la difficulté pour les artistes francophones d’accéder à une audience mondiale. Par ailleurs, les récentes mesures et observations réalisées par le laboratoire La Percée, en étroite collaboration avec la firme Gradiant AI, permettent également de conclure qu’à niveau de popularité comparable (mesuré en nombre d’abonnés Spotify), les artistes de musiques du monde bénéficient en moyenne de 40 % moins d’exposition (et donc moins de découvrabilité) dans les playlists éditoriales de la plateforme que les autres artistes associés à d’autres catégories ou genres musicaux.

S’enfermer dans une bulle musicale restreinte

Puisque les deux tiers de toutes les écoutes sur Spotify se font à partir des listes de lecture, ce chiffre illustre une faible recommandation et mise en valeur de la grande richesse et de la diversité de la scène musicale francophone, par l’invisibilisation des artistes issus de l’immigration ou de la diversité et catégorisés dans des genres musicaux minoritaires. Cette sous-représentation devient particulièrement problématique lorsque l’on considère que les playlists représentent un gain considérable d’écoutes pour les artistes.

En effet, l’écart d’exposition de 40 % se traduit directement par un déficit de visibilité, de perspectives économiques et de reconnaissance pour les artistes concernés. L’absence relative des artistes de musiques du monde dans ces vitrines privilégiées limite considérablement leur capacité à atteindre de nouveaux publics, créant un cercle vicieux où le manque d’exposition initiale réduit les chances d’une découvrabilité et d’une popularité future.

De plus, les systèmes de recommandation des grandes plateformes privilégient les contenus déjà populaires ou issus de marchés dominants, ce qui renforce la marginalisation des musiques francophones de niche ou appartenant à des catégories et à des genres musicaux moins populaires. Les statistiques montrent notamment une faible proportion de streams et de titres pour ces répertoires dans les classements des morceaux les plus écoutés.

L’auditoire se retrouve donc enfermé dans une bulle musicale restreinte qui limite son exposition à la diversité dont se targuent pourtant les catalogues des services de streaming.

Ce phénomène de concentration des écoutes musicales en ligne creuse l’écart entre les succès largement promus et les artistes ou les titres moins connus, moins visibles et donc moins découvrables. Rappelons que, parmi les dizaines de millions de morceaux téléversés sur les plateformes en 2024, près de 80 % n’ont jamais été écoutés, selon Deezer. Ainsi, la diversité de l’offre disponible en ligne ne se traduit pas dans la consommation réelle de musique.

Passer de l’indignation à l’action

Cette tendance à la standardisation culturelle risque de s’accentuer à l’ère de l’IA générative, qui pourrait avoir des effets négatifs sur la diversité linguistique des contenus culturels auxquels nous sommes exposés. Avec la prolifération des contenus créatifs et culturels créés par l’IA, il devient aussi crucial de se préoccuper des risques de dévalorisation des œuvres humaines, d’une rémunération inéquitable des artistes, du non-respect des droits d’auteur et de l’intégration non autorisée de grandes quantités de musique pour l’entraînement de modèles de langage.

Selon la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs, d’ici 2028, près de 20 % des revenus des plateformes de diffusion en continu et 60 % de leurs musicothèques pourraient provenir de musique générée par l’IA, ce qui entraînerait une perte radicale de revenus, estimée à une dizaine de milliards de dollars, pour l’industrie musicale au cours des années à venir.

Sans politiques publiques, réglementation ni lois adaptées en matière de culture, de découvrabilité, de droits d’auteur et de régulation des plateformes de diffusion en ligne et des systèmes d’IA, les géants du Web continueront à hiérarchiser nos productions culturelles, décidant de ce qui « mérite » d’être vu, entendu et recommandé, selon des critères opaques et motivés par la seule rentabilité.

Pour que ces plateformes fassent partie de la solution, elles doivent revoir leurs modèles afin de promouvoir plus d’équité, de diversité et d’inclusion, dans l’intérêt de leurs publics diversifiés et aux goûts éclectiques. Voir sa culture, sa langue et son identité représentées en ligne, c’est exister. Il y va de notre humanité commune, qui doit continuer à s’enrichir des vertus du dialogue interculturel. Il importera aussi de sensibiliser et d’éduquer les jeunes francophones afin qu’ils adoptent des comportements culturels plus responsables en ligne et qu’ils développent une appétence et une curiosité pour l’exploration musicale des voix d’expression multiculturelle.

Parce que la diversité des contenus en ligne est cruciale pour notre souveraineté culturelle, nous devons passer de l’indignation à l’action. Il s’agit d’empêcher une déshumanisation de la découverte musicale et de garantir dans l’espace francophone et partout dans le monde un accès équitable à une plus vaste palette de contenus musicaux en français ainsi que dans les autres langues nationales et locales coexistant dans la francophonie, qui contribuent à l’enrichissement culturel de chacun.

Il est urgent de ne pas laisser nos musiques et cultures francophones entre les mains d’une économie de marché dominée par quelques entreprises transnationales qui imposent à notre attention ce qu’il faut écouter, à partir des formules magiques de leurs algorithmes.

Le droit de découvrir

Pour que la magie des algorithmes opère, les plateformes de diffusion doivent comprendre qu’il est possible de mettre en valeur et de promouvoir la diversité des expressions nationales et locales sans nuire à leurs intérêts, à ceux de l’industrie musicale ou du public.

Il importe également de coconstruire un vocabulaire commun, en produisant de nouvelles taxonomies inclusives et en améliorant les pratiques d’indexation plus fine des œuvres (tenant compte des spécificités linguistiques et culturelles), de sorte à ainsi refléter la pluralité des genres musicaux au lieu de les regrouper dans des catégories génériques.

Nous, regroupements professionnels d’artistes et de créateurs, acteurs de l’industrie musicale, chercheurs et experts en découvrabilité et politiques culturelles, demandons qu’on reconnaisse le droit de chacun à découvrir, consommer et partager des contenus reflétant sa culture et sa langue et à y accéder, sur n’importe quelle plateforme.

Nous en appelons aux États, gouvernements et organisations internationales : adoptez et appliquez des normes, des principes, des directives, des traités, des protocoles, des politiques publiques, des lois, des règlements et toute mesure proactive en matière de découvrabilité culturelle, de soutien à la transformation numérique des secteurs culturels, de régulation des plateformes et d’encadrement de l’IA pour protéger et promouvoir en ligne la diversité des expressions musicales des pays francophones. C’est aussi à nos décideurs publics de prendre des mesures pour soutenir le renforcement des compétences numériques, la formation et l’accompagnement des artistes, des créateurs et des professionnels francophones afin qu’ils puissent mieux référencer leurs œuvres (mots-clés, métadonnées, stratégies de promotion) et ainsi améliorer leur découvrabilité.

Soucieux de l’intérêt public et des choix déterminants pour l’avenir de nos sociétés, dans un contexte où le rapport de force favorise les géants du Web guidés par leurs seuls intérêts économiques, nous devons rester mobilisés, chacun dans l’exercice de ses responsabilités, pour mener ce combat nécessaire. Abdiquer reviendrait à laisser ces multinationales écraser la souveraineté culturelle à laquelle aspirent les peuples et les nations francophones. Nos acquis en matière de protection et de promotion de la diversité des expressions culturelles sont aujourd’hui gravement fragilisés et remis en cause.

Cet engagement est essentiel pour assurer la pérennité du pluralisme musical et préserver notre capacité à faire découvrir une culture francophone vibrante, que créateurs et publics de tous horizons pourront s’approprier à leur tour.

Destiny Tchéhouali, Professeur en communication internationale à l’UQAM, Titulaire de la Chaire Unesco en communication et technologies pour le développement et Directeur scientifique du Laboratoire La Percée

Johan Lauret, Directeur de projet du Laboratoire La Percée

Suzanne Rousseau, Directrice générale et co-fondatrice des Productions Nuits d’Afrique

Sébastien Laussel, Directeur de Zone Franche, le Réseau des Musiques du monde

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